Des faits commis par un salarié en-dehors du temps de travail peuvent justifier un licenciement s’ils se rattachent à sa vie professionnelle et constituent un manquement manifeste à son obligation de loyauté.


Droit social individuel et collectif

Par deux arrêts rendus le 19 janvier 2019, la Chambre sociale de la Cour de Cassation a apporté une nouvelle précision aux contours, parfois imprécis, de la notion de manquement à l’obligation de loyauté incombant au salarié lorsque les faits qui lui sont reprochés à l’appui de son licenciement ne se rattachent pas directement à sa vie professionnelle.

Rappelons à cet égard qu’en principe, un salarié ne peut être sanctionné pour des motifs liés à sa vie personnelle. Ainsi la Cour de cassation a-t-elle invalidé, par exemple, le licenciement d’un surveillant de résidence ayant commis, hors de son temps de travail, des violences volontaires sur une mineure logée dans cette résidence, et ce au motif qu’il s’agissait d’un fait de la vie personnelle qui n’avait pas eu lieu au temps du travail et ne constituait pas un manquement du salarié à ses obligations professionnelles (Cass. Soc. 19 décembre 2007 n° 06-41731).

Ainsi a-t-elle également considéré que l’employeur ne pouvait, sans méconnaître le respect de la vie privée du salarié, se fonder sur le contenu d’une correspondance privée pour sanctionner son destinataire, en l’absence de tout manquement du salarié résultant de son contrat de travail, et ce alors même que le document litigieux, particulièrement obscène, avait provoqué un trouble au sein de l’entreprise (Cass. Ch mixte 18 mai 2007 n°05-40803).
Ce principe trouve toutefois sa limite lorsqu’il s’avère que les faits de la vie personnelle imputés à faute au salarié sont de nature à altérer objectivement le fonctionnement de l’entreprise en raison des fonctions mêmes du salarié. En ce sens, la Cour de Cassation a considéré comme justifié le licenciement d’un steward pour avoir consommé des produits stupéfiants pendant des escales, et ce dans la mesure où « un motif de la vie personnelle du salarié peut justifier un licenciement disciplinaire s’il constitue un manquement de l’intéressé à une obligation découlant de son contrat de travail ». Force est de relever que dans cette espèce, le salarié, qui appartenait au « personnel critique pour la sécurité« , n’avait pas respecté les obligations prévues par son contrat de travail et avait ainsi fait courir un risque aux passagers, et ce bien que le motif de son licenciement fût tiré de sa vie personnelle (Cass. Soc. 27 mars 2012 n°10-19915).

Le 16 janvier 2019, la chambre sociale a franchi un nouveau pas en validant le licenciement de deux salariés pour avoir, en tant qu’assurés d’un organisme d’assurance complémentaire de santé à la fois client et prestataire de leur employeur (dont l’activité était d’offrir aux organismes d’assurance complémentaire de santé, des prestations de service destinées à diminuer le reste à charge de leurs assurés), falsifié des factures personnelles – en dehors de leurs temps et lieu de travail et sans user de leurs fonctions ni utiliser les moyens dont ils disposaient dans l’entreprise -, et ce pour tenter d’obtenir des remboursements de frais de santé indus auprès de cet organisme.

Bien que s’agissant de faits tirés de la vie personnelle de ces salariés, la haute cour a relevé que les faits, constitutifs d’escroqueries, avaient été commis au détriment de l’un des principaux clients de l’employeur et aussi au détriment de l’un des praticiens de son réseau, que les falsifications avaient été établies à partir de factures similaires à celles que les salariés en question manipulaient dans le cadre de leurs fonctions et manifestement grâce à la connaissance de ces documents acquise dans ce cadre, et qu’en conséquence, les faits en cause se rattachaient bien à la vie professionnelle de ces salariés et non à leur vie personnelle, et constituaient un manquement manifeste à leur obligation de loyauté envers leur employeur, inhérente à leur contrat de travail.

Elle en a déduit que c’est à juste titre que la cour d’appel avait pu considérer que ces faits se rattachaient à la vie de l’entreprise et constituaient, compte tenu des fonctions assumées par les salariés (respectivement conseiller santé et superviseur auprès des organismes complémentaires de santé), des agissements de nature à justifier un licenciement disciplinaire.

Cette décision s’inscrit dans la ligne d’autres arrêts rendus par la Cour de Cassation, qui a par exemple validé le licenciement pour faute grave d’une salariée de la Caisse d’allocations familiales qui avait utilisé ses connaissances acquises dans le cadre de ses fonctions, pour bénéficier de prestations indues en tant qu’allocataire, alors même qu’elle avait pour mission de poursuivre de tels agissements, ce qui la soumettait à une obligation particulière de loyauté et de probité (Cass., soc., 25 février 2003, n° 00-42 031).

Ainsi et même si les faits sont commis dans le cadre de la vie personnelle, ils peuvent justifier une sanction disciplinaire dès lors qu’un lien direct avec l’exécution du contrat de travail peut être établi et qu’il y a manquement à l’obligation de loyauté du salarié, celle-ci dépassant les frontières du temps et du lieu de travail et s’imposant en toutes circonstances à ce dernier.

Cass. soc., 16 janvier 2019, n° 17-15.002, 17-15.003