Droit de la propriété intellectuelle
Observations sur un jugement du tribunal judiciaire de Marseille du 12 mai 2025
L’article L331-1-3 du code de la propriété intellectuelle institue un mode dérogatoire au droit commun de fixation des dommages et intérêts en cas de contrefaçon de droits d’auteur.
Il dispose en effet que :
Pour fixer les dommages et intérêts, la juridiction prend en considération distinctement :
1° Les conséquences économiques négatives de l’atteinte aux droits, dont le manque à gagner et la perte subis par la partie lésée ;
2° Le préjudice moral causé à cette dernière ;
3° Et les bénéfices réalisés par l’auteur de l’atteinte aux droits, y compris les économies d’investissements intellectuels, matériels et promotionnels que celui-ci a retirées de l’atteinte aux droits.
Toutefois, la juridiction peut, à titre d’alternative et sur demande de la partie lésée, allouer à titre de dommages et intérêts une somme forfaitaire. Cette somme est supérieure au montant des redevances ou droits qui auraient été dus si l’auteur de l’atteinte avait demandé l’autorisation d’utiliser le droit auquel il a porté atteinte. Cette somme n’est pas exclusive de l’indemnisation du préjudice moral causé à la partie lésée.
Outre le mode alternatif fondé sur l’allocation de dommages et intérêts forfaitaires (dernier alinéa), cet article prévoit un mécanisme d’évaluation préjudice par préjudice apparenté au mode habituel de calcul des dommages et intérêts dans le cadre de la responsabilité civile classique.
S’agissant des préjudices patrimoniaux, l’article L331-1-3 vise d’une part les conséquences économiques négatives et, d’autre part, les bénéfices réalisés par l’auteur de l’atteinte aux droits.
Comme le rappelle le tribunal judiciaire de Paris, « l’exploitation contrefaisante d’une œuvre protégée par le droit d’auteur génère nécessairement un préjudice » (23.01.2025, 22/03349).
Toutefois, certaines décisions ne tirent aucune conséquence de ces dispositions spécifiques, estimant que les « conséquences économiques négatives » et les « bénéfices réalisés par le contrefacteur » ne sont que des éléments d’appréciation indicatifs d’un mode de calcul des préjudices identique à celui pratiqué en matière de responsabilité civile.
Ainsi, pour le tribunal judiciaire de Paris, dans une affaire jugée le 08.09.2023 (22/04531) :
Ces dispositions doivent être interprétées à la lumière du principe de réparation intégrale, en vertu duquel la partie lésée doit se trouver dans la situation qui aurait été la sienne en l’absence des faits litigieux, sans perte ni profit pour elle, ainsi que le prévoit aussi l’article 13 de la directive 2004/48sur le respect des droits de propriété intellectuelle selon lequel les dommages et intérêts doivent être adaptés au préjudice que le titulaire du droit « a réellement subi du fait de l’atteinte ».
Dans un jugement du 23.12.2023 (20/10481), ce même tribunal a jugé que :
Ces dispositions, issues de la transposition de la directive 2004/48 du 29 avril 2004 relative au respect des droits de propriété intellectuelle (considérant 26 et article 13), visent à ce que la détermination du dommage tienne compte de ces différents aspects économiques, qui ne constituent pas des chefs de préjudices cumulables. En particulier, les bénéfices réalisés par les auteurs des atteintes n’ont pas vocation à être captés par la partie lésée mais sont destinés à évaluer objectivement son préjudice réel.
Pourtant, la cour d’appel de Paris a d’ores et déjà jugé que les bénéfices réalisés par le contrefacteur constituent en soi un préjudice indemnisable, lequel s’ajoute donc aux habituels manque à gagner et pertes subies (arrêt du 08.12.2023, 21/19696 – pour des économies d’investissement, voir 20.12.2024, 23/06192 – CA Paris, 17.01.2020, 18/20593).
Est indemnisable la banalisation de l’œuvre (TJ Paris, 11.09.2024, 24/50196 – CA Paris, 15.01.2025, 23/02543). Une photographie est « nécessairement banalisée du fait de son utilisation frauduleuse » (TJ Bordeaux, 21.01.2025, 22/07544).
Il n’en demeure pas moins que les juges – et les parties – procèdent le plus souvent à une évaluation globale des préjudices patrimoniaux sans quantifier individuellement chaque élément constitutif des « conséquences économiques négatives ».
Dans son jugement du 12.05.2025, ainsi que l’invitait le demandeur, le tribunal judiciaire de Marseille quantifie individuellement le manque à gagner, les frais engagés pour la recherche et l’identification de l’utilisation non autorisée (recours à un prestataire spécialisé), les frais liés aux démarches amiables entreprises, la perte de chance de commercialiser une licence exclusive et l’économie réalisée par le contrefacteur, dispensé des frais nécessaires à la réalisation d’un cliché.
Il retient par ailleurs un préjudice moral lié au défaut de crédit (distinct de l’atteinte au droit moral de l’auteur, non partie à la procédure), à l’utilisation hors contexte autorisé d’une photographie de presse ainsi qu’à la banalisation et l’affaiblissement de la valeur du cliché.
On regrettera toutefois qu’il ne soit pas prononcé sur les préjudices liés à l’atteinte au monopole d’exploitation et qu’il ait rejeté la demande formée au titre des frais internes de vérification « manuelle » de l’existence ou non d’une licence au profit de l’utilisateur non autorisé.
Seule la démarche adoptée par les juges marseillais nous semble conforme à l’esprit et à la lettre de l’article L331-1-3 du code de la propriété intellectuelle et à la directive européenne.
Pour en savoir plus : https://www.photo-ip.com/etudes/lindemnisation-des-prejudices-lies-a-la-contrefacon-approche-juridique-et-pratique/